Jess Soussan est une des chefs executive Julien Sebbag pour les restaurants JeCuisineChezToi, concept où le chef cuisine à domicile, et ChezOim au Bus Palladium tous les mardis soirs.
La première fois que j’ai vu Jess, c’était en juin dernier à l’anniversaire surprise qu’une copine organisait pour son mari. Mon amie avait demandé à JeCuisineChezToi de cuisiner pour la soirée. Exceptionnellement, Julien Sebbag était présent, et tous les regards étaient tournés vers lui. Parmi tous les cuisiniers qui l’accompagnaient ce soir-là, il y avait Jess. Et franchement, j’ai tout de suite vu qu’elle sortait du lot. J’ai vu une personne très concentrée sur sa tâche et en même temps sur la retenue. Je sentais qu’il y avait un feu qui bouillonnait à l’intérieur. Je m’suis dit « elle a un truc cette fille ! ».
Ensuite, j’ai demandé à Jess de cuisiner pour mon anniversaire quelques jours plus tard. Là, j’ai découvert une femme très professionnelle et efficace mais aussi généreuse, un mélange de générosité et de pudeur à la fois.
J’espère que vous serez autant touchés et inspirés que moi par cette belle personne.
Jess, peux-tu te présenter ?
J’ai 32 ans, je suis parisienne et je suis une des chefs executive de Julien Sebbag. J’ai commencé à travailler avec Julien à ses débuts, il y a 3 ans et demi, au départ en tant que cuisinière. Ensuite, on a monté ChezOim et je suis passée chef executive.
J’ai été chef de Créatures saison 1 en 2019, le restaurant éphémère sur le toit des Galeries Lafayette. Depuis mai dernier, je m’occupe de JeCuisineChezToi, les dîners privés.
Et aujourd’hui, je vais être chef de Forest, le nouveau restaurant au Musée d’Art Moderne que Julien ouvre avec le groupe Moma. L’ouverture était prévue le 15 novembre mais elle a été reportée avec le confinement.
Qu’est ce qui te plaît dans ce nouveau poste ?
Forest est un challenge important parce qu’il y a une grosse brigade en cuisine à manager, et j’ai très envie de relever ce défi. En plus, c’est une ouverture de cuisine, donc je vais travailler les 3 mois premiers presque 7/7, ça va être très physique et très intense. Une fois que tout sera en place j’aurais un rythme soutenu mais un peu différent.
C’est aussi hyper cool parce que c’est une nouvelle carte, donc il y a plein de plats que je vais commencer à cuisiner et ça m’excite beaucoup. Et puis, le lieu est prestigieux, c’est magnifique ! Et j’adore aller au musée. Installer une cuisine dans cet endroit, c’est génial !
Quel type de cuisine vas-tu proposer ?
La cuisine ressemble un peu à ChezOim, mais avec une offre plus étoffée, des plats plus travaillés, plus techniques, et la carte est plus recherchée tout en gardant la simplicité qui est notre marque de fabrique. Il y a toujours beaucoup de légumes, pas mal de poissons et de viandes. Ça traduit l’évolution de notre cuisine avec Julien. On voit que quelques années sont passées depuis les débuts de JeCuisineChezToi.
Tu as fait des études de design industriel, comment es-tu passée du design à chef cuisinier ?
C’est une histoire un peu bizarre… Après avoir fini mon master 2 de design en avril 2014, je suis partie en vacances à Tel Aviv. J’y ai découvert Port Said. Je vais souvent à Tel Aviv mais c’était la première fois que j’allais dans ce genre de restaurant avec ce type de nourriture, un peu la vibe du chef Eyal Shani qui revisite la cuisine du Moyen Orient de façon plus moderne. J’ai adoré, j’ai eu un énorme coup de cœur, j’y allais un jour sur deux!
Puis, j’ai rencontré une copine qui bossait chez Miznon à Paris, que je ne connaissais pas non plus. J’étais très contente de voir qu’il existait ce genre de restaurant à Paris.
Tout en faisant mes recherches et mes entretiens pour un poste de designer, j’avais besoin un job. J’ai alors été engagée chez Miznon au service. A mon arrivée, le chef était sur le départ, emmenant avec lui presque toute l’équipe. J’ai fait 5 jours au service et un matin, le manager m’a demandé de faire un test en cuisine parce que ma copine lui avait dit que je cuisinais bien. L’essai s’est super bien passé. Je préférais avoir un peu d’argent en cuisinant plutôt qu’au service. J’y ai travaillé pendant 1 an. J’ai appris la base de la cuisine et les réflexes pour aller plus vite, travailler proprement, etc.
La cuisine a toujours fait partie de ta vie ?
Oui, ma mère cuisine beaucoup, tout comme ma grand-mère paternelle. J’ai grandi dans une famille où tous les plats étaient cuisinés, du petit déjeuner, au déjeuner et au dîner. Le Macdo, c’était deux fois par an, simplement parce qu’on insistait en passant devant. Alors, ma mère disait « bon… ok… on y va une fois ». Le fait de grandir dans une famille où tous les plats étaient cuisinés, sans aucun surgelés, tout cela m’a donné le goût. Mais je n’avais jamais songé à en faire mon métier.
Comment as-tu rencontré Julien Sebbag ?
J’ai rencontré Julien chez Miznon. Je n’ai travaillé avec lui que durant deux mois car je suis partie ensuite. Il m’a recontacté par la suite pour un projet de design. Il voulait que je dessine une cuisine itinérante, une sorte de stand avec une table et du rangement pour son matériel. Aujourd’hui, ce stand est celui sur lequel il cuisine tous les mardis soirs au Bus Palladium. Puis, on a discuté des dîners privés qui étaient en plein essor. Il avait besoin de renforcer son équipe et m’a proposé de le rejoindre de temps en temps. D’une fois par semaine, je suis passée à un rythme un peu plus soutenu et voilà où je suis aujourd’hui.
Qu’est ce qui te plaît dans ton association avec Julien Sebbag ?
Julien, c’est d’abord un bon copain. On a un rapport hyper agréable. Je ne le vois pas comme un patron. Je me sens bien dans mes baskets quand je bosse avec lui. On vient travailler comme on est, et c’est agréable.
J’aime son approche simple, pas prise de tête ni prétentieuse, que ce soit dans sa cuisine ou dans sa présentation. Et je trouve sa cuisine délicieuse. Depuis 3 ans et demi, je cuisine souvent les mêmes plats mais je ne m’en lasse jamais. Je les fais toujours avec la même envie.
La cuisine en France est très codifiée. En général, il faut avoir fait un CAP cuisine pour devenir chef, ce qui n’est pas ton cas. Sens-tu parfois que tu n’es pas à ta place ?
Au contraire ! Je me dis, je suis autodidacte, c’est tout à mon honneur. Franchement je m’étais même jamais posée la question. Je n’ai jamais vécu de situation dévalorisante. Il n’y a pas cet état d’esprit dans le groupe.
Quand j’ai commencé Créatures l’an dernier, j’ignorais beaucoup de choses sur le fonctionnement d’une cuisine comptant 1000 couverts par jour. J’ai appris sur le tas. J’ai été très bien épaulée par un second qui a fait un CAP cuisine et qui a travaillé dans des grands maisons comme le Bristol. Elle m’a énormément aidé et appris. Aujourd’hui, je suis prête à retrouver ce genre de poste.
Qu’est-ce que tu aimes dans le fait de cuisiner chez les gens ?
J’aime quand les clients sont là pendant les préparations, ils s’installent avec moi et me posent des questions sur ma cuisine, sur les recettes. Ils s’intéressent à toute cette partie qu’on ne voit pas dans un restaurant classique. Quand tu es chef dans un restaurant, tu es dans ta cuisine, le client arrive à 20h30, il passe sa commande avec le serveur, le plat arrive, éventuellement dans une cuisine ouverte, il passe la tête et il remercie les personnes et il pose quelques questions. Là, il y a un vrai contact direct avec le client. C’est un aspect plus convivial et intéressant que j’apprécie beaucoup.
J’aime aussi le challenge. Par exemple, hier j’ai fait un dîner de 40 personnes dans un très bel appartement mais pas bien équipé. Le four manquait de plaques de cuisson, il n’y avait pas assez de plats donc on a dû jongler avec le timing du four, faire des roulements. C’est parfois compliqué parce qu’on utilise le matériel des gens. Donc, c’est un vrai challenge et il faut faire preuve de créativité.
Julien m’a beaucoup appris là-dessus parce que c’est la personne la moins stressée que je connaisse. Il peut se retrouver en pleine prestation, les plombs pètent, le four lâche et je ne sais pas… il trouve un moyen pour continuer, il prend un chalumeau pour finir une cuisson… Un jour, on s’est même retrouvé à sonner chez les voisins des clients pour cuire des plats. C’était marrant !
Il m’a appris petit à petit parce que moi à la base c’est pas mon fort. Je peux me laisser dépasser par les événements. J’ai tellement envie de bien faire, je suis tellement perfectionniste, que les imprévus peuvent me déstabiliser. Julien m’a appris à gérer mon stress, à trouver des solutions alternatives, à rebondir. Maintenant, je suis complètement à l’aise, je sais que s’il y a un problème, je saurai faire face.
Crées-tu certains des plats que vous proposez ?
Comme Julien est sur plein de projets en même temps, il me laisse de plus en plus la main. Pour Forest, il m’a présenté une ébauche de carte. Puis, on en a discuté et j’ai apporté mes idées sur l’ajout de tel ingrédient ou telle association. J’ai aussi créé certains plats. Par exemple, lors d’un dîner privé, j’avais un surplus de daurade pour faire le carpaccio. J’en ai profité pour cuisiner une sorte de kébab de poissons que j’ai mixé avec pleins d’herbes, un peu d’ail, de l’échalote, du jus de citron et du zeste de citron vert. J’en ai fait comme des petites boulettes que j’ai écrasées dans la poêle avec de l’huile d’olive et servies avec une tehina rouge.
Je l’ai fait goûter ensuite à Julien. Il a adoré et on va le mettre à la carte. C’est génial parce que Julien et moi, on a la même vision de la cuisine, donc, on réfléchit ensemble et on fait des tests.
Quel est le plat que tu préfères cuisiner en ce moment ?
Je fais un crumble salé au romarin avec des figues rôties au miel et du fromage de chèvre frais. C’est un plat que j’aime beaucoup faire parce qu’il y a plein d’ingrédients différents à travailler. J’aime bien la manière dont on assemble et on présente ce plat. Les couleurs sont super belles. Et puis, la figue est un de mes fruits préférés.
En tant que naturopathe, je trouve qu’au-delà du goût, ta cuisine est bonne pour la santé. En as-tu conscience?
C’est plutôt inconscient. Comme j’ai été élevée dans une famille où tout était cuisiné et frais, j’ai toujours fait attention à l’aspect santé dans la cuisine, mais de manière inconsciente.
Quels sont, selon toi, les principes d’une cuisine « santé » ?
Je fais attention à l’équilibre de la matière grasse. Je cuisine beaucoup à l’huile d’olive, j’utilise très peu de beurre. J’essaye toujours de mettre un légume et des épices dans mes plats. J’utilise aussi beaucoup les graines (tournesol, noix, sésame). Je sais qu’elles contiennent des nutriments qu’on ne retrouve pas ailleurs. Elles apportent aussi beaucoup de goût et de texture à la cuisine en plus d’être bonnes pour la santé.
Y-a t-il des points que tu souhaites améliorer ou approfondir pour rendre ta cuisine plus healthy ?
On réfléchit à de nouvelles cuissons pour garder les nutriments comme la cuisson à la vapeur douce, sous vide et basse température.
Mais je dirais plutôt qu’avec Julien, nous sommes très sensibles à l’écologie dans la cuisine. On cuisine des fruits et légumes de saison. On ne va pas faire venir des mangues du Pérou, par exemple. On choisit des poissons de la pêche sauvage. Ce sujet nous tient tellement à cœur qu’il y a quelques semaines, nous avons refusé un dîner privé: la cliente souhaitait modifier le menu par des tournedos rossini, donc avec du foie gras. Pour nous, il était hors de question de cuisiner du foie gras parce que c’est de la torture d’animal.
Où aimes-tu dîner à Paris ?
Mon QG, c’est « Martin – boire et manger » boulevard du Temple. C’est une cave à vin où l’on sert des tapas. La carte change toutes les semaines. Les fruits, les légumes et les herbes proviennent de leur potager, le jardin sur Loire. Tout est bio, de saison et local. Après, il y a une tonne de restaurants que j’adore à Paris, mais c’est le premier qui m’est venue.
Quel est ton plat préféré ?
La Dafina de ma grand-mère que j’ai mangée toute mon enfance. Elle l’a fait avec un morceau de viande de bœuf, des pois chiches, des pommes de terre, des œufs, un os à moelle et du blé. Il y a aussi une sorte de petit gâteau avec des noix et des dattes. Il y a plein d’épices, du curcuma et de la cannelle. C’est un plat du shabbat qu’on mange le samedi midi. J’adore la Dafina, elle était même encore meilleure le lendemain. J’ai fait ma première Dafina pendant le confinement. Je l’ai hyper bien réussie, elle était vraiment ouf !
Est-ce que tu pratiques un sport ?
Je cours beaucoup un jour sur deux entre 45 min et une heure sur le canal de l’Ourq. Je me déplace à vélo à Paris.
Peux-tu nous parler de la petite fille que tu étais ?
J’étais une petite fille très sportive, très timide mais très curieuse, un peu dans mon monde et un peu rêveuse.
Si tu avais la petite fille que tu étais devant toi, que lui dirais tu ?
Je lui dirais que rien n’est figé
Quel est ton mantra ?
Soyez persévérant.
Quelle est ta musique préférée ?
Wicked Games de Chris Isaak.
As-tu un conseil à donner à ceux qui te liront ?
Cuisinez plus.
Un conseil pour bien cuisiner ?
Cuisinez plus!